« Il y a une fêlure en toute chose. C’est ainsi qu’entre la lumière » chantait Leonard Cohen.
C’est ce que l’oeuvre de Fanny Alloing illustre. D’abord, des empreintes moulées : visage, buste. Puis, ses créations sont devenues plus grandes, avec des empreintes de corps, réalisées sur des modèles nus, souvent des danseurs – elle-même est ancienne danseuse. Fendus, craquelés, ils se présentent frêles, fragiles comme des peaux de mue : elle les nomme « chrysalides ».
Professeur de modelage sur terre, son travail artistique est récent : « J’ai commencé à présenter mon travail de terre en 2014, explique-t-elle. Avant, je mettais en scènes des mues de plâtre. L’empreinte, au plus près de l’être qui a posé, et la sortie du modèle de sa chrysalide : c’est l’essence de mon travail ». Depuis cinq ans, le plâtre est devenu matrice, où elle estampe la terre en couches fines à l’intérieur, aboutissant à des oeuvres épaisses de deux centimètres, « fines comme des feuilles d’automne ». Chaque étape se charge d’une valeur symbolique. D’abord, le processus : « Le moulage est une expérience à deux et, lorsque les gens sortent du plâtre, c’est comme une renaissance. » Les matériaux, ensuite : « Les nus de plâtre sont fantomatiques, comme une mue d’insecte, tandis que lorsque j’estampe la terre à l’intérieur des plâtres, je retrouve la densité de la chair ». Puis vient le transport de l’estampe de terre sèche pour la cuisson, avec la part de hasard et la possibilité de sa destruction qui y sont liées, l’extrême délicatesse du moulage pouvant en causer la perte. Démarche et objet parlent du corps, de l’expérience du corps comme connaissance de la finitude et intuition de sa mortalité. Là, se fonde ce sens tragique du destin humain, incarné dans une enveloppe charnelle où grâce et fragilité s’intriquent.
De l’apparence de momies enveloppées de bandelettes de plâtre de ses débuts, les « chrysalides » humaines de Fanny Alloing ont atteint, par le passage à la terre cuite, un surcroît de force d’évocation. Le brut de la matière qui se fissure, se mêle à la sophistication des effets d’émaillage et à la subtilité du rendu des corps. Il s’en dégage une empathie aiguë pour l’homme, qui parle du lien, de la vunérabilité et de la dignité. Et ce « combat pour garder l’être », dont parle la céramiste au sujet du processus de création, acquiert son deuxième sens, plus profond, de portée métaphysique.
Mikaël Faujour / La revue de la céramique et du verre